Une dizaine de jours avant le début des championnats du monde à Hong-Kong, voici une petite rétrospective sur les championnats d’Europe 2016 où la France avait réussi à ramener deux médailles : argent pour Anthony Nguyen et Justine Crapanzano en double mixte, et une de bronze pour Justine en simple dames !
Alexandre Mariottini, joueur sélectionné pour l’épreuve de triple mais blessé peu de temps avant la compétition, avait enfilé la casquette de chef d’équipe avec brio.
En guise de préparation à la prochaine échéance sportive, voici le retour d’Alexandre sur cette expérience.
France Plumfoot : Es-tu satisfait des résultats de l’équipe de France à ces derniers championnats d’Europe ?
Alexandre Mariottini : Comment ne pas être satisfait de la prestation française ? Le dernier podium européen pour la France remontait à trop longtemps ! Cette fois, l’équipe nous a offert un doublé en prime. Il y a eu énormément d’engagement des joueurs sur tous les matchs. Personne n’a baissé les bras. Chaque joueuse et joueur s’est battu jusqu’au bout. Il y a eu des cris, de la sueur par litre et aucune économie d’énergie. Autre point important à souligner est l’unité de l’équipe de France. Celles et ceux qui ne jouaient pas étaient dans les gradins pour encourager ! On avait même le luxe d’avoir des français non sélectionnés dans l’équipe nationale mais pourtant présent. Je pense que ça pèse dans la balance pour beaucoup de joueurs. Dans les petits moments à vide, quand on a des doutes ou parfois la motivation qui vacille, le soutien des autres nous épaules et peut nous redonner de la force. Il faut savoir s’en servir.
FP : Pas de déceptions, donc ?
AM : Difficile de trouver quoi dire sur d’éventuelles déceptions. Etre déçu, cela implique d’avoir raté quelque chose. Hors je pense que l’équipe Française a su remporter les matchs de son niveau et a même su créer quelques surprises. On pourra juste regretter un manque de joueuses dans nos clubs. Il y a des places à prendre au niveau international ! Pour le triple femme, avoir une équipe simplement présente suffisait à assurer la 3eme place minimum. C’est dommage car même si sportivement, ce n’est pas glorieux, au niveau com’ et publicité en France, ça peut motiver les joueuses, nous aider à démarcher des aides municipales pour les clubs et recruter plus facilement. Si je veux chercher la petite bête, je pourrais râler un peu sur le manque de sérieux de nos joueurs contre des équipes plus faible. Notamment, il me semble avoir du secouer un peu nos boys pendant le match contre l’Autriche si ma mémoire ne se trompe pas. On a parfois ce défaut encore de laisser trainer des matchs en longueur juste parce qu’ils sont « faciles ». C’est une perte d’énergie et parfois même une mise en danger inutile. Je noterais aussi le match en simple dame contre la Pologne. Il était certes compliqué mais accessible pour notre petite championne Justine. La seule chose qui a su les départager est l’expérience dans la gestion du mental et du physique. La joueuse polonaise a beaucoup plus de compétitions à son actif. De plus, ne pouvant plus s’entrainer régulièrement, elle ne s’était pas mis d’objectif sur cette compétition. Cela lui a permis d’être plus sereine et détendue. Je pense que la performance qui m’a le plus marqué est le match de Justine et Anthony contre la Hongrie. Certes ce match a été remporté en 2 sets par la Hongrie, mais nos deux Français ont vraiment offert du spectacle. Justine, impeccable dans sa construction et ses passes, s’est même offerte le luxe de rattraper des smashs du duo Hongrois grâce à un bon positionnement sur le terrain et de bons réflexes. De son coté, Anthony a fait preuve comme souvent d’une excellente vivacité et d’une bonne lecture du jeu. Il a su être un attaquant redoutable. Et bien au-delà de ça, j’ai surtout vu une équipe Hongroise trembler ! Rappelons quand même que face aux Français, il y avait Réka Kunics, aussi petite en taille que grande en talent, championne nationale et européenne en titre, épaulée par Toth Gabor, un monstre sacré du milieu qui ramasse les titres nationaux et européens à la pelle depuis des années. Bref, la crème des joueurs européens. Et pourtant… On a assisté à une Réka fébrile et parfois même proche d’être tétanisée sur le terrain ainsi qu’un Gabor stressé qui a souvent lâché des exclamations et a souvent serré le point sur ses points marqués. Un joueur qui cultive depuis des années un silence et un calme olympien est sorti de ses gonds ! Seuls les matchs à gros niveau le fait sortir ainsi de sa placidité. Pari gagné par nos Frenchies qui ont vraiment fait suer au propre comme au figuré cette grande équipe jusqu’à frôler un match en 3 sets.
FP : Pour la première fois, tu coachais l’équipe, quelles sont tes impressions ?
AM : A ma grande surprise, j’ai pris énormément de plaisir à coacher. Je suis pourtant un joueur acharné et compétitif et l’idée de me retrouver sur le côté pour cause de blessure ne m’enthousiasmait pas. En toute honnêteté, j’avais peur de m’ennuyer. 4 jours à regarder les autres jouer, j’appréhendais un peu. Mais finalement, non seulement il y avait beaucoup à faire, mais en prime c’était passionnant et même parfois déchirant. Quand 2 équipes françaises différentes jouaient en même temps, il fallait faire un choix difficile et surtout frustrant. Quand on se jette vraiment dans ce rôle, on ressent une certaine responsabilité presque paternelle. On a donc envie de toujours être présent et de tout voir. Observer les autres équipes jouer, tenter d’analyser le plus vite possible leurs habitudes de jeu, trouver des failles exploitables avant leur rencontre contre la France. Ensuite, analyser le match en cours, définir une bonne stratégie rapidement en fonction des qualités de notre équipe mais aussi des failles à protéger tout en gardant en tête l’autre équipe et ses propres atouts/faiblesses. Parfois il faut réagir vite car les points s’enchainent très et trop rapidement. Il m’est arrivé parfois d’être confronté à un vrai dilemme intérieur. Quand on perd quelques points d’affilés, est-ce une mauvaise tactique ou faut-il attendre qu’elle paye sur le long terme ? Faut-il en changer tout de suite ? Est-ce un problème de tactique ou est-ce les joueurs qui font des erreurs et n’arrivent pas à la mettre en place correctement ? Et bien sûr, il faut garder tout ça au fond de soi pour ne pas communiquer à votre équipe vos doutes et vos craintes. Il faut aussi apprendre à gérer chaque joueuses et joueurs au cas par cas selon les caractères, leur niveau de stress ou d’expérience. Il faut trouver les mots qui feront mouche, être convainquant dans ses choix, parfois rabâcher les mêmes choses encore et encore. Parfois, c’est difficile d’écouter le coach. On a une vision différente (et souvent faussée) du match quand on a la tête dedans, le corps rempli d’adrénaline ! Il faut une certaine abnégation et une bonne confiance en l’autre pour suivre certaines consignes. On a du mal à changer ses réflexes de jeu ou de simplement appliquer les consignes. Et puis le coach peut se tromper aussi tout simplement ! Un autre aspect plus ou moins complexe à gérer est la quantité d’informations et de consignes à délivrer. On sait qu’en tant que joueur, on a une tempête dans le crane pendant un match à pression. Il faut donc savoir ne pas trop en dire aussi pour ne pas noyer l’équipe sous une pluie de consignes. Se focaliser sur l’essentiel devient primordial pour que la joueuse/le joueur ne cogite pas trop à se rappeler de tout alors qu’elle/il doit déjà résister au stress, aux doutes, à la fatigue et au smash endiablé des adversaires ! En prime, il faut aussi gérer les co-équipiers sur le banc. Tout le monde veut intervenir avec des conseils plus ou moins avisés, une autre vision du jeu et parfois le joueur se retrouve presque harcelé au milieu de tous les potes qui veulent bien faire. Tout le monde se sent impliqué et veut aider. Ça devient souvent contre-productif. Au coach de faire un peu « la loi ». Le mieux étant que les autres parlent au coach. A lui ensuite de faire le tri entre les bons conseils auxquels il n’avait pas pensé et ceux qui compliquent trop, ou qui ne vont pas dans le sens de la stratégie choisie. Au final, le coach lui aussi passe par une myriade d’émotions et de stress. La responsabilité, l’empathie et l’envie de voir briller l’équipe nationale met constamment sous pression. Ce qui peut être assez drôle pour les spectateurs. Les Français sur le banc m’ont souvent vu sauter sur place, pester ou serrer le poing de satisfaction !
FP : Dernière question, une médaille d’or pour la France aux championnats d’Europe, c’est encore un rêve impossible ?
AM : Rattraper le niveau Allemand voir Hongrois est un sacré challenge. Je pense qu’il nous manque plusieurs choses pour y arriver. Pour commencer, le nombre de clubs et de pratiquants, c’est le nerf de la guerre. Plus on a de joueuses et de joueurs et plus la compétitivité va augmenter tirant tout le monde vers le haut. Plus il y aura de pratiquants et plus on aura de chance de dénicher des gens ayant un talent naturel pour ce sport. C’est aussi là toute l’injustice du sport… On peut s’entrainer des années avec la plus grande motivation possible et ne jamais réussir à smasher aussi fort qu’Anthony ou faire des dragons comme Trung. La masse créée l’exception.
Il faut aussi beaucoup plus de compétitions nationales et surtout qu’un maximum de pratiquants y participent ! Je sais que ça fait partie des priorités de la fédé et on progresse régulièrement sur le sujet. Comparé à certains pays européens, on a pas à rougir et il faut encore intensifier cela. Les compétitions nationales sont très importantes pour qui veut vraiment progresser. On y apprend à gérer l’énergie, le stress, la tactique, la frustration, la prise de risque calculée (ou mal calculée… J )On apprend aussi à jouer contre des joueurs qu’on ne connait pas aussi bien que ses potes du club. Ça nous oblige à analyser rapidement et adapter sa tactique pendant le match en fonction du style en face. On peut aussi se découvrir des points faibles face à des façons de jouer différentes de ce qu’on a l’habitude dans son club. Ce qui donne ensuite des pistes sur les choses à travailler en entrainement.
Enfin, je dirais aussi qu’il faudrait plus de stages spéciaux et encadrés par le sélectionneur/coach. Premièrement pour détecter le niveau d’engagement de chacun et de pouvoir évaluer aussi les compétences dans un contexte intense de la pratique pendant un weekend isolé de notre vie quotidienne. Qui tiendra le choc en endurance ? en régularité ? Qui se révèlera un bon contreur ? un bon passeur ? etc… Ca permettra de répondre à de telles questions de la manière la plus juste. C’est trop léger de se baser sur une ou deux heures d’entrainements par-ci par-là ou sur des compétitions qui ont des résultats parfois biaisés. Cela permet aussi de pouvoir tester plein de configuration d’équipes avec des joueurs qui n’ont pas forcément le reflexe ou la possibilité de jouer ensemble, de travailler des routines qui sont vitales pour les compétitions de haut niveau et de perfectionner aussi les affinités. Pour finir, si on pouvait mettre en place 3 ou 4 stages par an minimum, ça permettrait de construire une vraie stratégie d’entrainements et de tactiques sur le long terme qui seront ensuite déployés dans les différents clubs.
Des échanges avec les autres pays seraient aussi très formateur. Que ça soit des étrangers qui viennent jouer en France ou des Français qui vont jouer à l’étranger, on observe encore plus d’engagement de tout le monde lors de ces petits weekend.
Selon moi, notre principal handicap à l’heure actuelle est le manque de temps. La plupart des pratiquants ont déjà une vie bien remplie. Certains ne peuvent pas se permettre financièrement de participer à toutes les compétitions ou n’ont pas forcément assez de jours de congés. On manque cruellement de jeunes mais pour cela il faut aller faire des interventions directement dans les collèges et lycées. Les démos en plein air sont possibles aussi mais demande pas mal de monde disponible et une bonne organisation avec des joueurs mais aussi des rabatteurs pour engager la discussion avec les passants qui s’arrêtent, les inciter à essayer, distribuer les flyers, prendre les téléphones et les mails des gens pour les relancer ensuite etc… Des partenariats avec des profs de sport sont aussi possible mais c’est toujours en journée et la journée, les gens capables d’enseigner et de gérer une animation sont au boulot ! Difficile de dégager du temps et de l’envie pour cela. Entre la famille, les amis, les loisirs, le boulot, on a pas forcement l’énergie pour tout ça en prime.
En ce qui concerne le poste de sélectionneur/coach, cela nécessite une énorme disponibilité. Il faudrait qu’il soit présent à toutes les compétitions. Outre l’aspect chronophage, l’aspect financier pèse aussi dans la balance. Rémunérer une personne à ce poste est pour le moment complètement utopique mais trouver des financements pour soulager au moins le cout de ses déplacements et hébergements pourrait permettre plus de disponibilité. Et assez juste aussi comme contrepartie du temps et de l’énergie investi à s’occuper des autres. Ce qui serait bénéfique in fine à tout le monde. Dans un monde idéal, il faudrait même qu’il se déplace de temps en temps dans les différents clubs pour observer le plus de gens possibles et discuter avec les entraineurs des membres de leur clubs, des stratégies et des entrainements à mettre en place. Mais on en est pas encore là.