Il fait froid, je me les gèle.
Je marche en me chauffant les mains l’une contre l’autre en pensant : « mais sérieusement, pour une fois que tu es loin des enfants à la maison, quelle idée de te lever un samedi matin à 7h pour te retrouver dans un gymnase non chauffé à 8h ? »
Je ne suis pas le premier sur place et je retrouve devant l’entrée la triplette de puteaux, en mode café-clope, la cigarette au bec ou en train d’être roulée. On échange quelques mots. Ça fait du bien d’être ici ; on n’en pouvait plus ; presque deux ans sans jouer, c’est chaud en vrai ; des nouvelles de la patronne ? elle arrivera plus tard dans la matinée ; et Binh ? il jouera que le simple demain. L’échange est interrompu par un « Bonjour ! » chaleureux. Laurent, qui sort de sa voiture, me fait signe avec un grand sourire et me souhaite une bonne compétition tout en me rappelant – inévitablement – que son fils est double champion de France. Tout le monde sourit.
J’entre dans le gymnase, surexcité comme si c’était un jour de rentrée de classe en 4ième.
La salle est déjà clairsemée de joueurs. Je vois au fond du gymnase les dunkerquois, en train de s’échauffer en groupe, à faire des aller-retour en pas chassés et des accélérations sur courte distance. Là-haut, je retrouve quelques habitués parisiens qui utilisent les tribunes comme vestiaire. Notre colonel président JB, June quasi-endormie qui me fait un air-check, Léo qui exhibe une belle moustache et Joris qui a pris le soin de montrer à tout le monde que oui, pendant le confinement, il est possible qu’on prenne un peu de poids. Il est 7h50, on se réveille doucement, on sort lentement ses affaires de son sac, on discute avec son voisin sans trop lever la voix, on se réveille quoi. Et là, comme une tranche de brie au milieu d’un kebab, voilà Dany. Gratuit, bruyant, il parle de quelqu’un que les joueurs de moins de 3 ans ne peuvent pas connaître, mais le plus étonnant c’est que tout le monde est heureux de l’entendre.
« ALLEZ TOF !!! »
Les terrains sont en train d’être montés, il ne manque qu’un seul marquage au sol. Quang et Huong, docteurs es tracés, sont de mission. Je file un rapide coup de main, en prenant des nouvelles de la future championne de France, du phở de Quang – que j’attends toujours – et du futur club de Massy – j’attends aussi.
J’avance dans le gymnase et je croise Thomas, speed, exaspéré, sans nouvelles des marseillais depuis hier, il a peur qu’ils arrivent en retard. C’est drôle, je ne saurais pas dire ce qui lui manquait le plus : organiser une compétition ou en disputer des matchs. Après, c’est vrai, nos sudistes sont parfois doués pour manipuler, avec beaucoup de tact, le ténu fil de patience des organisateurs. Mais en règle générale, ils tiennent parole ; je prédis à Thomas une arrivée pile à l’heure pour le début des matchs.
D’un coup mes oreilles sont fouettées d’un : « Mais nique ta race toi ! ». Théotime a sa dégaine du matin : il porte ses lunettes, la capuche de son sweat est abaissée sur sa tête, le sac de sport plus grand que lui en bandoulière. Sans trop de surprise, ces petits mots d’amour étaient destinés à Xavier qui continue à tirer en arrière sur le sac de tété.
J’arrive dans le vestiaire, où la moyenne d’âge des protagonistes prend une bonne décennie. Je me change avec Trung, Nico, Fred et François, on se croirait en 2013. On parle enfants ; quel âge les tiens déjà ? les nuits vous en êtes où ? ah oui déjà en CP ? c’est quand que tu l’amènes faire une compét’ ? Comme toutes mes rencontres de cette matinée, ça sent le bonheur d’être là.
En tenue, avec mes air duck aux pieds, j’attrape une plume et je commence tout doucement par quelques jongles. Oh, le kif. Je suis surexcité, j’ai envie de jouer mon premier match là, tout de suite, puis je me rappelle que mon deuxième objectif, après celui de gagner la compétition, c’est de ne pas me blesser. Je pose la plume et commence quelques échauffements, étire un peu mes jambes.
Il est 8h30 et les marseillais me font mentir ; imprévisibles jusqu’au bout, putain. Ils arrivent, bruyants, souriants, Antho fait mine de se rapprocher de Théotime pour lui claquer la bise. Et voilà, deuxième « Nique ta race » de la matinée. Je demande à Antho comment se passent les nuits. Même réponse que quand je lui demandais, en 2017, comment il gérait le décalage horaire à Hong Kong : « Ça va, ça va, tranquille », avec une emphase phocéenne sur le « quille ».
« Je vous rappelle que les matchs débuteront à 9h00 et qu’après cinq minutes de retard, toute absence sera considérée comme un forfait. »
Etienne pose le micro et se rapproche de moi. S’entament alors les cordialités usuelles qui précèdent une journée de compétition : alors, Ayman, chaud ? écoute, on verra bien ; je me demandais (sourire en coin), tu te souviens quel était le résultat de notre dernier match en compétition l’un contre l’autre (rire réprimé) ? ah, c’est marrant moi aussi j’ai oublié, mais ça me fait penser : tu as fais combien de podium toi en tout, dans ta vie (rire réprimé, bis) ?
J’interromps cet échange enrichissant pour reprendre mon échauffement. C’est le nouveau format de plume qui est utilisé pour la compétition, un peu plus lourdes, les repères sont à reprendre. Quelques passes, quelques smashs très doux histoire de ménager mes articulations, et au moment où je frappe mollement une plume, j’entends le bruit.
Cette confirmation sonore que la plume a été frappée correctement, quand l’air fouetté par la chaussure précède un premier son sec et sans appel (la plume est partie), puis un second (elle touche le sol).
Il est assez clair que cette fois-ci, ce bruit n’est pas de mon fait. Je me retourne, et je retrouve à nouveau les marseillais. C’est Yanis qui vient de lâcher une flèche. En face, Léo est au service. On dirait Pavard en 2018, très horizontal, avec une trajectoire très peu lisible. Je les regarde.
« C’est bon ça !!!! »
Kévin, le smile jusqu’aux oreilles, pue l’envie de jouer, de gagner, d’en découdre. À nouveau, on s’échange des petites courtoisies d’usage, orientées sur l’axe Paris-Marseille cette fois. Mais on est vite interrompus.
« Tout le monde, posez les volants et venez, annonce des poules ! »
Etienne fait de grands signes des bras pour battre le rappel . Les petites plumes qui volaient un peu partout tombent les unes après les autres au sol. Un cercle se forme peu à peu autour d’Etienne, qui porte une petite feuille à la main et entame le speech traditionnel qui ouvre nos compétitions.
« C’est un énorme plaisir de vous retrouver ce matin… »
* * *
Ce texte est une fiction issue d’une imagination un peu déprimée mais pleine d’espoir. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou des situations vécues est absolument volontaire.
Ça me manque. Vous me manquez, putain.